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Le mot du mois : le temps de la vendange

18 novembre 2020

Automne : les jours raccourcissent, les arbres se teintent de couleurs spectaculaires, la nature se prépare à affronter un long hiver, comme tous les êtres vivants. En effet, l’automne est la saison de la récolte, notamment de certains des fruits de la terre et du labeur des hommes parmi les plus appréciés. Nous parlons de la vendange, bien sûr, couronnement final d’un dur travail qui occupe les viticulteurs presque toute l’année.

En Vallée d’Aoste, les origines de la viticulture sont très anciennes : selon certains experts, il est probable que la vigne ait été cultivée dès l’époque préromaine, comme en témoignent les restes d’amphores datés du Ve siècle avant J.-C. retrouvés à Aoste, dans la nécropole de Saint-Martin-de-Corléans. Entre le Ve et les XIe siècles, des variétés traditionnelles furent introduites dans la région et sélectionnées[i].

Ces dernières décennies, le prestige des vins locaux est devenu tel que les amateurs ont recommencé à cultiver leurs petites vignes, qui avaient été abandonnées pendant de longues années.

Commençons donc notre voyage à la découverte des termes relatifs au monde du vin et de la vigne, en partant de la plante, cet arbuste grimpant de la famille des vitacées.

Dans les variétés francoprovençales valdôtaines, les mots servant à la désigner appartiennent principalement à deux types lexicaux.

Le premier vient du latin vitis, qui a donné naissance à l’italien vite et au français ancien viz.[ii]

Les différents résultats de nos patois sont essentiellement caractérisés par la palatisation plus ou moins marquée de la consonne dentale - t -. À titre d’exemple, nous trouvons viche (à Courmayeur), vihe (à Rhêmes-Saint-Georges), vis, vise, visse dans de nombreuses localités (à Antey-Saint-André, Aymavilles, Challand-Saint-Victor, Cogne, Introd, etc.) et vits (à Ayas et Brusson).

Le second type, plus particulier, est bien représenté par mayola (Arnad, Issogne), mayoula (Champorcher) et mayoa (Perloz). Les mêmes termes sont souvent utilisés en basse vallée, notamment pour désigner les vrilles dont la forme en tire-bouchon a inspiré la créativité des patoisants : à Champdepraz, par exemple, on dit éhte stort comme na mayola (être tordu comme une vrille). L’origine de ce terme est liée au latin maius, mai, qui a donné dans les langues romanes de nombreux résultats aux significations très éloignées les unes des autres, mais qui appartiennent tous au champ sémantique de la floraison, de la germination, du début de la vie[iii].

En Vallée d’Aoste, le fruit de la vigne, le raisin, est aussi désigné par les dérivés du latin racemus, grappe de raisin[iv]. Certains exemples sont d’ailleurs très intéressants du point de vue phonétique : rirén (Saint-Marcel), rouijén (Courmayeur) et rujeun (Saint-Vincent).

Généralement, la grappe est indiquée par le terme rapa/rappa, alors que pour désigner le grain de raisin, on utilise le terme générique gran/grana.

 

Les variétés de vigne traditionnellement cultivées dans notre région sont nombreuses. Parmi les variétés autochtones, nous avons le bonda, le cornalin (cornalèn), la crovassa, le fumin (femèn), le mayolet (mayolè), dont l’origine est la même que celle de mayola citée plus haut), le petit rouge (petchoù rodzo), le ner d’ala, le neyret, la premetta, le roussin (roussèn), le vouayar, le prié (priyì), le Vien de Nus et le Vuillermin.[v]

En Vallée, les vignes sont traditionnellement élevées sur une pergola ou une treille, toupie, topia en patois. Ce terme dérive du latin topia - lui-même d’origine grecque - qui a survécu exclusivement dans l’Italie du nord-ouest et les aires francoprovençales ou occitanes d’Italie et de France (ainsi que dans l’enclave occitane de Guardia Piemontese en Calabre). Cet étyme avait une signification particulière : celle de « jardin ornemental »[vi]. En effet, les merveilleuses terrasses, qui caractérisent encore le paysage de nombreuses localités de la vallée centrale et offrent d’intéressants témoignages de ce que l’on appelle la « viticulture héroïque », ont une valeur esthétique indéniable et représentent l’union parfaite de la nature et de l’intervention humaine. Dans notre région, tous les aspects agricoles et culturels de la viticulture constituent un patrimoine devant être sauvegardé et transmis aux générations à venir.

Concluons en citant deux proverbes relatifs à la Saint-Martin que l’on célèbre le 11 novembre. Saint Martin vécut au IVe siècle et c’est parce qu’on lui attribue la transformation de l’eau en vin qu’il a été choisi comme saint patron des viticulteurs, des vendangeurs et même des ivrognes !

 

A la Sen Marteun, toppa la bosse é tata ton veun

À la Saint-Martin, bouche le tonneau et goûte ton vin

A San Martino, tappa il barile e assaggia il tuo vino

 

A la Sen Marteun, bèi lo bon veun é lèicha l'éve pe lo moleun

À la Saint-Martin, bois le bon vin et laisse l'eau pour le moulin

A S. Martino, bevi il buon vino e lascia l'acqua per il mulino

 

 

 

[i] http://www.cervim.org/valle-d-aosta.aspx

[ii] VON WARTBURG, W. (1922 ss.). Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW). Bâle : Zbinden. Vol. XIV, 557a et suivants.

[iii] VON WARTBURG, W. (1922 ss.). op. cit. Vol VI/1 61a et suivants. et FAVRE, S. (2019). Le mot du mois : Le mois de mai. http://www.patoisvda.org/gna/index.cfm/nouvelles-guichet-linguistique-patois-vallee-d-aoste/le-mot-du-mois-le-mois-de-mai.html

[iv] VON WARTBURG, W. (1922 ss.). op. cit. Vol. X, 11b et suivants.

[v] Vitigni della Valle d’Aosta http://www.docvalledaosta.it/vitigni et BELLEY, S. (2007). Viticulture et vinification à Aymavilles. Une enquête ethnolinguistique. In : Nouvelles du Centre d’Etudes Francoprovençales R. WIllien. N° 56/2007. 29-36

[vi] VON WARTBURG, W. (1922 ss.). op. cit. Vol XIII/2 36a et MALASPINA, E. (2013) Topia = «pergolato»? Dai dialetti romanzi al latino. In: BALDO, G. et CAZZUFFI, E. (par) Regionis forma pulcherrima. Percezioni, lessico, categorie del paesaggio nella letteratura latina. Atti del Convegno di studio, Palazzo Bo, Università degli studi di Padova, 15-16 mars 2011. BIBLIOTHÈQUE DE L’ «ARCHIVUM ROMANICUM». Série Ie : histoire, littérature, paléographie, 415. Florence: Leo S. Olschki. 243-274